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Evénements

29/01/2024
L'association Notre-Dame de Banelle vous présente ses meilleurs vœux pour cette année 2024, année qui sera riche en événements et surprises, restez à l'écoute...
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Rendez-vous

Tous les jours - Ouverture du sanctuaire de 9h à 18h
Mardi - Reprise des messes de semaine les mardis dans l'église Notre Dame de Banelle, pour respecter la distanciation physique
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D'après Henri Pourrat, « L'exorciste, vie de Jean-François Gaschon p.m. »

Au chapitre III

La Compagnie royale de Notre Dame de l'Hermitage, elle, n'est pas janséniste. Lorsque Massillon se sentant sur sa fin lui fait donner une grande mission à Clermont en 1740, il lui adjoint comme ses naturels auxiliaires, deux Jésuites. A la suppression de la Société de Jésus, la Mission diocésaine considère qu'elle se doit de la remplacer de son mieux dans le diocèse.
François Gaschon a donc demandé à y être agrégé. Le noviciat dure d'ordinaire trois ans. On peut aussi bien dire qu'il n'y a pas de noviciat : le novice mène d'emblée la vie des missionnaires, partage leurs travaux ; au bout de trois ans, il est admis ou non.
Ces trois années-là, il a du les passer à Banelle. Banelle est sise dans la paroisse d'Escurolles, en Auvergne pour lors, à présent dans l'Allier. L'Hermitage, c'est la grande montagne ; Banelle, à la lettre, c'est la petite. Bane, en auvergnat, signifie corne. Banelle c'est la petite corne, le monticule. Banelle et l'Hermitage, aux limites de l'Auvergne, soit au plus bas, devant les plaines, soit au plus haut, d'où elle regarde les Alpes.
A l'Hermitage, c'est Notre-Dame en son rayonnement de jeunesse qu'on vénère : la Mère toute claire, son Enfant sur le bras. A Banelle, c'est Notre-Dame de compassion, la mère douloureuse tenant sur ses genoux son Fils descendu de la croix : celle que François Gaschon a vue dès ses premiers regards au mur de son église. C'est par un prodige qu'y a été découverte autrefois la statue miraculeuse.
Les charpentiers sont dans le bois…
Le sire de Lyonne, -Banelle est proche de son château,- les y a envoyés abattre des arbres, ils se sont attaqués à un orme.
Le premier coup qu'ils ont porté,
Toutes les cognes se sont cassées.
Première cognée brisée sans même entailler l'écorce ! L'homme s'emporte et sacre ; un autre le remplace, puis un troisième ; le fer toujours leur saute des mains… Ils ne savent que penser, quand cherchant, regardant, ils avisent à la fourche de l'orme une Notre-Dame de Pitié taillée dans une pierre blanche. Sans doute elle est installée là depuis des âges ; mais personnes de l'y savait.

Les plus petits disent aux grands :
Faut aller chercher notre maître :
Qu'il vienne voir dedans son bois
Le grand miracle qu'est arrivé.

Attelez mes quatre mulets,
Mettez-y vitement la selle,
Que j'aille voir dedans mon bois
Le grand miracle qui s'y voit.

Ils ne furent pas au milieu du bois
Les quatre mulets ont chu à terre
Doucement, Vierge, pardonnez-moi !
J'ai cent écus à vous donner.


Mais les mulets ne peuvent bouger de la place. On appelle alors le prieur d'Escurolles qui transporte l'image dans son église. Le lendemain elle est revenue à l'ormeau ; et transportée de nouveau, chaque fois elle y revient. Si bien qu'on n'ose plus la tirer du lieu qu'elle a choisi. Les peuples des campagnes y accourent et les miracles éclatent.

Qu'on m'amène tous les boiteux,
Tous les boiteux et les aveugles,
Et les boiteux s'en iront droit
Et les aveugles verront clair.

On a donc bâti près de l'ormeau une église. Puis cet arbre étant mort, on l'a enfermé dans un oratoire au joli dôme dont le lambris est d'un firmament d'azur étoilé. Lors des cérémonies, on fait glisser de l'église un panneau donnant sur l'oratoire et la statue incrustée dans son arbre. –Il a d'ailleurs fallu blinder l'ormeau, les pèlerins cherchant toujours à en emporter quelque parcelle. Il en vient jusqu'à trente mille, à la Nativité de Notre-Dame, le 8 septembre. Trois hôtelleries se sont bâties, du Dauphin, du Lion d'Or, et de l'Ecu de France ; mais elles ne suffisent pas : beaucoup de gens n'ont pour abri que les énormes pères chênes de la grand'place. Sous les longs bras ramés, ils attachent les bœufs, les chevaux, dorment sous les charrettes mises à cul ou les bâches tendues, y cuisinent et y mangent. Une procession solennelle suit le « grand office », et au retour, en arrivant sur la place, en vue de l'oratoire, elle s'arrête. Les hommes, alors, ôtent leur chapeau. Et tous, les jeunes, aux belles guêtres, les vieux, qui tournent des patenôtres entre leurs doigts, les vieilles qui vont courbées sur un petit bâton, les femmes et les marmots pendus à leurs jupes, ils se prosternent, le front dans la poussière.
Ce peuple, dans son dépouillement, son humble patience, avec ses duretés et ses crimes, peut-être mais ses poignantes peines : et voici qu'il se tourne vers Dieu, dans un grand mouvement de cœur : comme un enfant, il demande pardon, par l'entremise de la Mère de miséricorde.
On dit que quelque chose à toujours serré à la gorge ceux qui ont vu cela.
En ce Banelle consacré à Notre-Dame, que va faire François Gaschon de son action et de sa vie ?
Au contraire de ceux des paysans, et parce qu'ils veulent les trouver libres, les gros travaux des missionnaires ont lieu en morte-saison, de la Toussaint jusqu'à Pâques. Et ce sont de durs travaux. –Défense au surplus de recevoir aucun présent, même pas l'honoraire d'une messe, dans les missions qui se font par fondation, sur les sommes léguées à la Compagnie. Dans les autres, les missionnaires ne peuvent demander que la nourriture et les frais du voyage.
A la maison, les missionnaires n'ont droit qu'aux honoraires de messe, à la nourriture, au blanchissage, aux remèdes, à la lumière et à un feu commun. Ils doivent se supporter, se prévenir par toutes sortes d'honnêtetés et de bons services ; ils doivent aussi rendre la vie douce aux domestiques, ne leur demander que le service nécessaire, et se priver de tout ce dont on peut se passer. –« Considérez, avait écrit M. Planat, que la grâce de Jésus-Christ est différente de celle d'Adam en ce que celle-ci est un titre de possession de toutes choses, et celle-là un état de privation de tout. »
Sur ce pied, le service de la maison est si doux que plusieurs des domestiques s'engagent à y rester jusqu'à la fin de leurs jours. Ils se donnent, eux et leurs biens, à la communauté, qui les accueille pour toujours. On les nomme Frères donnés. Et c'est en vraie fraternité que bonté des maîtres et fidélités des serviteurs comptent l'une sur l'autre.
Dans les missions, en dehors des jours de relâche où les missionnaires se contentent de conférer entre eux et de confesser les sourds, on se lève à 4 heures. Dans les maisons, huit jours après le retour des missionnaires, et sauf aux jours de vacances, on se lève à 4h ½. La journée est toute l'oraison et à l'étude, avec conférence de théologie de 2 à 3 heures, récitation de matines, de laudes, du chapelet, lecture spirituelle de 6 à 7, prière en commun à 8h ¾ et coucher à 9h ¼.
Banelle vient d'être restauré solidement : salles et corridors voûtés et dallés en lave de Volvic ; -dans les chambres, aux étages, de mêmes dalles noires dessinent des croix sur le rouge du carrelage.
A-t-on vu à François Gaschon une particulière ardeur, de l'entrain, de la verve, même ? Avec peut-être quelque humour, on lui fait faire fonction d' « excitateur ».
L'excitateur est celui qui apporte la lumière dans les chambres, et réveille les endormis par un Benedicamus Domino !
Très vite, le Père Gaschon prend empire sur son corps : il se réveille et saute du lit à la minute exacte.
Ses confrères diront qu'on pourrait régler les montres sur son lever aussi surement que sur celui du soleil.

Au chapitre IV

Oui, la vie cachée. Et ce sera celle que s'efforce d'avoir François Gaschon, alors qu'il est condamné à être un homme en vue.
Il a aimé cette vie des gens de son pays : ceux qui souhaiteraient qu'on ne s'occupe pas d'eux, qu'on ne parle pas d'eux. Sous les rames basses des pins, derrière les genièvres et les fougères, ils tâchent de disparaître en leur coutume, en leur misère, en leur silence. Mieux que d'autres, les pauvres échappent à la bêtise de la vie ; mais ils n'échappent pas à la Bête. Ces paysans, eux qui dans leurs habits mal rapetassés sentent le suint et l'étable, comme il faudrait les tirer sous le rayon. Faire de leur vie de mangeurs de soupe sur le pas de la porte et de buveurs de vin au fond du cabaret, si ce n'est trop dérisoire, tienne de la vie de Marie. Approche quelque peu de la sienne, non par l'effacement seulement, mais par le grand courage d'un cœur tout donné, tout brûlant. Il y a toujours ce grand travail à mener qui serait de délivrer les cœurs.
La Révolution trouvera le Père à Banelle.
On rapporte qu'il y était toujours le premier levé, le premier à dire sa messe. Il allait chaque jour jusqu'au ruisseau de Chalont, à quelques distance du couvent. Lorsqu'il se croyait seul, hors de vue, -et il récitait ses prières tout en marchant, - il faisait de fois à autre une station et il baisait la terre…
Là-bas, là-bas, sur les montagnes, grossit et gronde le nœud de l'orage. Mais la pénitence peut le détourner. Jonas prophétisait la destruction de Ninive : les Ninivites firent pénitence et Ninive ne fut pas détruite.
Les hommes de la mortification ont toujours senti que de la Source les forces profondes viennent à l'être en ces privations mêmes. Vouloir souffrir, c'est se mettre avec Dieu qui a aimé les hommes, qui a souffert pour eux, c'est monter vers la vie plus vive.
Le vieil homme dépouillé va se cachant derrière les vergnes du ruisseau. Mais quand il lui arrive de rencontrer un enfant, il ne croit pas devoir rester muré dans sa solitude. Il aborde le petit, il cause avec lui, riant et l'incitant, il lui pose une ou deux questions, lui donne tout ensemble un liard tiré de sa poche et quelque explication de catéchisme.
La compagnie des enfants, il l'aimera toujours. Elle semble l'avoir rafraîchi, recréé, comme si elle le payait de celle, si oppressante, des grandes personnes. Puis, éclairer ces petits, c'est mener la même action que baiser la terre, prier et demander pardon à Dieu pour ceux qui ne veulent pas croire, espérer et aimer.
La terre tourne. Le train du monde continue. Jusqu'au dernier moment le supérieur de Banelle fera faire des aménagements à la maison. Si vite inutiles ! Mais qui peut dire ce que sera demain ? Le saint qui le tient de son ange ? Il ne voudrait pas parler. De sorte que comme jadis les hommes sont toujours tout à leurs projets, à leurs affaires, quand survient le déluge.

Au chapitre V

Avant la fin de 1789, la Constituante a décrété la mise à disposition de la Nation de tous les biens du Clergé. La Mission diocésaine a donc à faire ses déclarations. A l'Hermitage, ç'a été en février. A Banelle, où est le Père Gaschon, ce n'est qu'en fin novembre. Les missionnaires y sont-ils plus portés à attendre, à résister ? Enfin, ils font faire par des experts de Gannat un état de leurs biens.
En juillet 1790, la Constituante vote la Constitution Civile du clergé. Le roi l'approuve, à contre-cœur, en fin d'année. La plupart des évêques, dont celui de Clermont, Mgr de Bonal, puis le pape, interdisent de prêter serment à cette Constitution.
Aucun des missionnaires ne le prêta. Ils n'y sont pas tenus, du moment qu'ils n'exercent pas un ministère public. Le Directoire de Riom le leur demande, cependant. L'évêque leur conseille donc d'arrêter là leur œuvre ; les dernières missions, pour les Pères de Banelle, en 1791, sont celles de Lempdes, de la Tourette et de Pionsat.
« Retirés à la maison, a écrit le supérieur dans le registre, la municipalité d'Escurolles par l'instigation du directoire de Gannat nous invita à cesser les instructions publiques et à nous en tenir à célébrer la messe et à confesser, à quoi nous adhérâmes pour n'être point dans le cas de prêter le serment que notre conscience rejetait et pour ne point résister à la force. Nous avons été menacés, dénoncés par les clubs, les sociétés fraternelles ; nous avons reçu des reproches, des affronts très vifs. Cependant, pendant plus d'un an, nous avons eu l'exercice libre de notre ministère. »
Mais après une émeute à Moulins, en mars 1792, on fait fermer dans le département –au public seulement d'abord-, toutes les églises autres qu'églises de paroisses. Puis le directoire de Gannat enchérit : « L'ordre de fermer entièrement –notre église) fut si absolu qu'on y ferma le Saint-Sacrement et le supérieur eut toutes les peines pour obtenir que la municipalité s'y transportât pour qu'un de nous pût dire la messe et consommer les saintes espèces… Le lendemain de la clôture il tomba un pied de neige et il fit un temps des plus horribles ; le peuple ne manqua pas de l'attribuer à la hardiesse qu'on avait eue de fermer l'église… On a mis, disaient-ils, le bon Dieu et la Sainte-Vierge en prison, c'est pourquoi le Seigneur nous punit. »
Les missionnaires n'ont plus qu'à se disperser. L'un part pour la Suisse, l'autre se réfugie dans sa montagne du Cantal ; un autre sera bientôt arrêté, emprisonné ; le supérieur, près de sa fin, va mourir en peu de mois.
Le Père Gaschon a été celui qui demeuré le plus longtemps à Banelle. Le curé d'Escurolles et son vicaire ont prêté serment, puis se sont rétractés et ont du prendre la fuite. Il faut pourtant qu'il ait un prêtre non-schismatique dans le pays. Le Père décide de rester, retiré au château de Lyonne, chez le régisseur, M. Larzat.
Mais il doit se cacher. Et ne plus porter soutane. Le renom qu'il a entre tous les missionnaires fait qu'on parle un peu trop de lui. Il ne veut pas compromettre ses hôtes. Il veut pourtant demeurer là, à la disposition de tous. Il s'enfroque dans une vieille mante de bergère, et menant quelques moutons il va en champs. Ceux qui ont à lui parler, à lui dire leurs péchés ou leurs peines, le trouvent derrière le buisson de la combe ou sous les arbres du ruisseau. Et le savoir là fait du bien.
De nuit, il dit la messe dans la chapelle du château de Lyonne. Y viennent les fidèles, ceux qui ne craignent point ou qu'il n'y a pas à craindre.
On dit qu'en ces jours-là une femme de service au château eut des couches difficiles. Le Père Gaschon accourt. Il voit le nouveau-né sans vie. « Portez-le vite à la porte de la chapelle. Je donne les sacrements à la mère, je reviens et je le baptise. » Tout va comme il le dit. L'enfant retrouve la vie, peut recevoir le baptême, vivre deux jours encore. – A-t-on su cela ? A-t-on vu qu'il avait à cœur ces baptêmes de quasi mort-nés. Si souvent sur sa tombe on portera de ces petits sans vie, sans souffle…
Mais comment se cacher longtemps dans une campagne ? Les voisins épient tout de si près… Que de précautions à prendre pour administrer les sacrements. Les temps cependant deviennent de plus en plus noirs.
Le Père passe de Banelle à Escurolles. La famille Labussière lui a offert un asile. Durant deux mois, il se tient reclus dans un grenier. La nuit, sous quelque costume d'emprunt, il va trouver ceux qui ont demandé à se faire entendre de lui, ou ceux qu'il pense avoir besoin de l'entendre.
C'est pendant cette période de Lyonne, Escurolles, qu'il est allé souvent chez son frère Louis. Louis Gaschon, après ses études à Toulouse, s'est fixé à Riom comme avocat à la sénéchaussée. Il habite au trois de la rue de Chabrol. Le Père heurte doucement à la porte, sur les onze heures, quelques fois, ou même plus avant dans la nuit. Immédiatement on le reconnait à son petit coup de marteau, ceux de la maison arrivent en hâte. Les deux frères s'embrassent, -ils se savent menacés, l'un l'autre. Le Père prend entre ses mains les têtes de ses neveux. Pour lui qui a tant d'affaires avec la malice, la ruse, la lâcheté, la haine, c'est quelque chose de baiser ces têtes d'enfants, les signant du pouce sur le front, quelque chose de les avoir là pour un moment, tout contre soi, et leur bonne chaleur…
On veut le faire assoir. On veut qu'il boive un doigt de vin. Mais avant même qu'il soit assis, il faut qu'il raconte où il a été, ce qui lui est arrivé. Il parle, -c'est à mi-voix, les mains sur les genoux,- relève les yeux, leur sourit. Et alors, eux aussi, ils se décident à sourire.
Puis, « avec la simplicité d'un enfant pris en faute », il se tourne vers sa belle-sœur. « Il m'a fallu céder ma chemise à quelqu'un qui en avait plus besoin que moi. Vous m'en donnerez bien une autre ? »
Il aura à renouveler tant de fois son bagage…

Le Père est rentré à Escurolles. Il ne va pas pouvoir beaucoup plus longtemps y demeurer.
Emigrer en Suisse, comme tant d'autres prêtres auvergnats ? Il se demande ce qu'il doit faire. Surtout il le demande à Dieu.
Un jour, précipitamment, on vient lui dire que ceux de Gannat, les sans-culottes arrivent. Il y en a dans le bourg ; il y en a d'autres à Banelle. Ils sont en train d'arracher la décoration de l'église ; ils vont enlever Notre-Dame de Pitié et son ormeau dans la chapelle… Ils disent qu'ils feront tout brûler… Un homme qui a quitté ses sabots se tient là, accroché de la main au chambranle, comme trop époumoné pour parler, il confirme la chose à coups de tête.
Et ces sans-culottes savent que le Père est resté dans le pays. Ils veulent lui mettre la main dessus. Déjà les perquisitions commencent.
C'est vrai qu'ils ont dévasté la chapelle : faute de pouvoir la brûler, ils ont fracassé à coups de masse la ci-devant statue miraculeuse.
Malgré les menaces, les gens recueillent ces débris. Pour que leur maison en soit bénie, ils les enchâsseront en lieu d'honneur, à leur muraille. Des crucifix, des tableaux, des images de saints, les hommes venus de Gannat font un feu de joie sur la place. Mais c'est chapeau bas et les yeux en pleurs, comme devant un malheur, que les gens regardent ce feu. L'ormeau brûle, l'ormeau de Banelle…
Soudain, se décidant, une femme tire un tison du feu, pour s'en faire une relique. Une autre fait de même, un autre.
Alors, ceux de Gannat les bousculant, se sont lancés en une farandole.

Dansons la carmagnole,
Vive le son, vive le son...
Ils chantent de Madame Veto, qui avait promis de faire égorger tout Paris et de leurs canonniers qui ont fait manquer son coup. Cela sonne bizarrement comme une rubrique venue des villes qui ne s'accorde pas à cette place de village : ces fagotiers dans un renfoncement à orties, le galetas où pend une poulie, -et un chat dors, là-haut, sur la planche avançante, - ces bottes de paille, cette borne, les choses enfin de la vie qu'on a.
Vive le son, vive le son,
Dansons la carmagnole,
Vive le son du canon !


Et quelque vieille ou quelque Devisou, peut-être, à cette minute le sent confusément : désormais le son du canon ira toujours s'enflant, toujours s'enflant, jusqu'à quelque coup de mine énorme, dans un soir de fin du monde, comme la foudre !
Le Père n'a-t-il pas tenu à être là, pour que lors de la profanation, sur le lieu même et dans le moment même, il y eût quelqu'un qui fît réparation à Dieu ? Ou s'en allant seulement, est-il tombé malgré lui sur les hommes à bonnet rouge ? La tradition veut qu'i ait été déguisé en rémouleur, portant au dos la meule, la roue et le sabot percé ; que les sans-culottes l'aient entouré, dévisagé, questionné, et finalement laissé passer.
Il a du gagner Riom et la rue de Chabrol. Son frère est-il emprisonné déjà ? Il va l'être bientôt.. –On est dans les premiers mois de 93…
L'oratoire du grenier, rue de Chabrol, pour quelques jours ce peut être un refuge. Ce n'est pas un poste. A quoi va-t-il se résoudre à présent ? Il est au jour de sa destinée.
Peut-être n'a-t-il pas au à décider qu'il serait prêtre, -cela est allé comme de soi, dans la cure de son oncle. Peut-être pas non plus qu'il serait missionnaire, si à Billom, ses maîtres lui ont montré que c'est là le vrai service. Mais maintenant ?
La prudence voudrait qu'il gagnât le Valais ou quelque canton catholique de la Suisse. Il prend un bien plus grand parti. Il ne s'en va pas : il rentre. Il retourne au pays. Puisqu'il ne peut pas continuer sa mission de près de trente ans, il va se jeter au plus épais et commencer une nouvelle campagne dans les campagnes. Le voilà rémouleur. Il est l'homme qui donne le fil à la lame et qui fait jaillir de la pierre une javelle d'étincelles, l'homme qui tient en main le couteau et le feu. A-t-il songé à Abraham qui va ainsi, portant feu et couteau, vers la Montagne de Vision ? Abraham, image lui-même de Celui qui a dit être venu apporter sur la terre et la flamme et le glaive. Comme le patriarche, il demandera à ses enfants de donner tout leur sang, si Dieu le leur demande.
Il ne cherche pas une retraite, mais le risque. Pas une cache, mais le haut-lieu. Et la grosse affaire, il le sait, ce va être de passer à travers les hommes.
Voilà vingt-huit ans, de la Chabasse, il était parti pour Banelle. De Banelle, à présent, il rentre à la Chabasse. Car là, pour toute cette paroisse d'Olliergues, il n'y a plus de prêtre. Son ami, le curé, M. Chambroty, a refusé le serment et a été mis en arrestation : il est détenu depuis octobre 1792. Les deux vicaires, M. Lastic et M. Compte, auparavant ont émigré vers le Valais.
A la Chabasse, les gens le recueilleront.

Au chapitre IX

A certain moment de l'année, c'était un grand pèlerinage. Et, pareil à celui qui passait lors des missions, les portait une sorte de vieil enthousiasme.
Il y a eu des grâces de renouvellement. –Comme si l'esprit du Père Gaschon l'avait revivifiée, la Mission diocésaine s'était reconstituée. En 1819 à Marsac, près d'Ambert, une des premières missions qu'elle avait données a soulevé non seulement la paroisse mais celle de bien loin à l'entour. (A cette mission se sont convertis les hommes, les suivants, de Maignet, qui en septembre 92, aux Carmes, avaient massacré leur concitoyen l'abbé Friteyre.)
Quarante ans plus tard, aux pèlerins qui viennent d'Ambert, le curé d'Ars dira : « Que venez-vous chercher ici, vous autres qui avez chez vous le père Gaschon ? » -Et à un religieux qui lui rapportait ce qu'avait été la vie du serviteur de Dieu, Pie X a dit qu'après avoir béatifié le curé d'Ars, modèle et patron des curés, il voudrait béatifier le Père Gaschon, comme modèle et patron des missionnaires.
Sur cette tombe de l'hospice, ils sont donc venus du Bourbonnais et du Velay, de la Haute-Auvergne ; du Charolais, du Lyonnais aussi, et du Forez surtout.
Un défilé incessant de pèlerins, qui a continué sous Louis-Philippe, sous Napoléon III, sous la Troisième République, qui continue...